Proverbes et maximes
On s'étudie trois semaines, on s'aime trois mois, on se dispute trois ans, on se tolère trente ans et les enfants recommencent.
Hippolyte Taine
Né le 21 avril 1828 à Vouziers, il est décédé le 5 mars 1893 à Paris, c'est un philosophe et historien français.
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Création de la page : 2017
Modification de la page : 04-09- 2017
Portrait d'un pilote régional des années cinquante
Régis Chassagne
dit "Casse-croûte"
Interview
Régis Chassagne est un des nombreux pilotes motocyclistes qui ont écumé les épreuves régionales en Auvergne durant les années cinquante avec un matériel souvent artisanal et rarement de gros moyens.
Le terme "régional" n'a rien de péjoratif.
La compétition est bien réelle et il faut voir les tribunes du vélodrome de Clermont-Ferrand pour mesurer l'impact et le succès populaire de ces courses.
Quels furent tes débuts en compétition ?
- C'était en 1952, en lever de rideau du Grand-Prix des Salins à Clermont.
La course était ouverte aux débutants non encore licenciés. Il y avait toute la génération qui allait animer les plateaux divers par ma suite, dont l'ami Matteins que j'allais retrouver durant toute ma carrière. Pour l'occasion, j'utilisais une 125 Jonghi 2 temps, "tapée" maison, qui faisait ce qu'elle pouvait...
Quelles machines as-tu utilisées ?
- Outre la Jonghi, il m'est arrivé d'utiliser la Saroléa "Grégoire" de Matteins, notamment à la côte de la Baraque, à coté de Clermont. La tenue de route était encore suffisante début cinquante. Le moteur était souple et puissant, et il n'y avait guère que les Norton qui étaient devant.en performances... et en prix.
J'ai utilisé, en 50 cm3, un Cucciolo préparé maison : carbu gros comme ça, cames rechargées à la brasure : ça tenait très bien, au moins le temps d'une course !
Déjà, je me frottais à Burggraf et à son 50 Lavalette.
Tes plus beaux succès viennent de l'AMC
- Oui, bien sûr. Un jour Mathieu m'apostrophe : "Qu'est-che tu cherches, jeune ?" Il parlait comme ça. Très intimidé, je ne sais plus ce que j'ai bredouillé. "Dimanche, viens manger à la maison".
Ce genre de convocation était impératif : on ne discutait pas avec Mathieu !
Le dimanche, me voilà parti à Bort-les-Orgues, mais arrivé sur place, où le trouver ?
Je demande à une charmante jeune fille, si elle connaissait ; c'était Cathy Mathieu !
Celà commençait bien. Il m'a fait visiter la ville et le barrage avant de manger, m'a refilé quelques tuyaux et quelques pièces, et à seize heures m'a congédié sans autre forme de procès.
On ne discutait pas avec un tel homme...
Mathieu t'a bien aidé.
- Sûr, c'était le spécialiste AMC, c'est lui qui, le premier, a monté un double arbre sur le culbuté.
On a attribué sa victoire au Bol d'Or de 1949 à Gima. En fait, il avait le seul AMC encore en course et Gima lui a offert l'hospitalité de son stand, devenu disponible après l'abandon des motos de la firme. Mais je t'assure que la partie-cycle était personnelle et ne devait rien à Gima.
Le cadre était maison et la fourche qu'il avait adaptée provenait d'une Harley-Davidson. Par la suite, Mathieu s'est installé à Clermont et, moyennant quelques heures de travail dans son atelier, j'ai pu bénéficier des pièces que je ne pouvait fabriquer.
J'ai obtenu ainsi une suspension arrière de DS Malterre, dont Mathieu avait été agent, pour mon cadre spécial. Plus tard, j'ai récupéré le cache d'ACT en tôle de Mathieu quand il utilisait le double arbre "usine".
Ta moto était entièrement personnelle ?
- Oui, j'ai réalisé le cadre, classique simple berceau dédoublé, chez Transac-Moto à Clermont. Le réservoir est un Mottaz agrandi et ressoudé par "Jules", dans son échoppe. "Ouie, ouie, ouie, ça pète, ça pète !" Mais il en fallait plus pour intimider son chalumeau !
La fourche est une Grazzini, la suspension arrière vient de chez DS Malterre avec un amortisseur à friction monté sur compas. Freins Saperli, diamètre 160 à l'avant et 130 à l'arrière (NDLR : influence Mathieu/DS Malterre dont c'était la monte), pneus Dunlop 600x65 à l'avant et 3,25x17 à l'arrière.
J'ai couru jusqu'en 1956 avec le 175 AMC culbuté.
Les tarnsformations étaient classiques : volant SAFI, incapable de dépasser 7.000 tours/minute sans exploser, était remplacé par un volant d'inertie en acier, l'allumage étant assuré par une magnéto Morel placée à l'avant et entrainée par chaîne.
J'ai d'abord monté un carburateur Amac de 24 mm, puis un Amal Grand Prix de 25,4 mm (1 pouce), avec cuve séparée tous les deux ; bougie Marchal Course 32/2.
Et puis il y avait la cuisine maison : un peu d'essence d'avion, du Benzol et du Rédex, c'était entièrement légal sur piste, mais je préférais soustraire ma cuisine aux nez indiscrets.
Comment faire avaler tout ça ?
- On revoit la distribution, on aplatit les linguets pour maintenir les soupapes ouvertes plus longtemps. On revoit l'arbre à cames : rien de plus simple, tu charges à la brasure et tu essayes ; quand ça marche, tu en réalises un en acier et tu le fais traiter chez Chartoire (NDLR : aux AMC, bien sûr). On met des soupapes plus grosses d'un millimètre, que l'usine montera en série par la suite. Là-dessus, un piston Borgo haute compression, une bielle polie ou chromée - j'en ai encore - et roulez jeunesse.
,Je n'ai pas essayé les bielles en dural, soit plus fragiles soit plus lourdes. Par contre j'ai très vite monté un réservoir-radiateur d'huile sous le moteur ; outre le meilleur refroidissement, le vilebrequin ne risquait plus de frotter - et de se freiner - dans l'huile.
Par la suite j'ai concocté la culasse à deux ACT entrainés par une chaîne qui passait à la place des culbuteurs. Les cames démontables étaient montées sur les arbres par cône et clavette.
L'AMC était-il une bonne base ?
- Oui et non. Les rapports avec l'usine étaient privilégiés pour les Auvergnats, proximité oblige.
Je conserve un souvenir ému d'Henri Chartoire. En effet nous avions accès aux pièces spéciales. Henri Chartoire était d'une gentillesse infinie et nous a permis de courir avec beaucoup de désintêressemt.
Le moteur est bon. Les matériaux sont de première qualité, pas de problème de boite de vitesses, le défaut du volant a été facilement résolu.
Cependant la course du moteur était trop longue pour espérer tourner très vite.
Un ancien de chez Chartoire m'avait proposé de fabriquer un embiellage spécial à course courte.
J'ai demandé au "singe" de Camathias, Maurice Büla, s'il pouvait m'avoir au moins une culasse de MV. "Si tu veux un moteur, tu viens en Suisse en moto, on l'installe dessus et tu repasses la douane sans problème"...
La proposition la plus valable fut celle d'un mécano de Burggraf : une culasse de MV et un embiellage spécial, le tout pour 100 000 francs ... à une époque où j'en gagnais 25 000 par mois chez Marcel Dauphin, serrurier, dont j'usais - voire abusais - du matériel de soudure mis gracieusement à ma disposition. Seule réserve, je devais être au poste le lundi matin, quoi que j'ai pu faire le dimanche !
Mais pas de MV, c'était vraiment trop cher.
Comment se financait la course ?
- Comme on pouvait ! Les primes de départ arrivaient à payer à peu près les déplacements, mais le reste, c'était la débrouille ou la poche !
Quels souvenirs de course ?
- Ma dernière course fut le Grand-Prix de France 1960 à Charade. J'étais le seul qualifié du Moto-Club d'Auvergne, dans ma catégorie, en troisième ligne. J'ai fini les essais en camionnette, magnéto noyée par la pluie battante. Au vu de notre "Service Course", Surtees nous avait avoué que jamais il ne courrait dans de telles conditions... En course, j'ai fini dixième ; j'aurai peut être pu faire mieux, mais pour ma dernière course, quelques travers avaient refroidi mon enthousiasme. De plus mon volant s'était cisaillé passé la ligne d'arrivée.
J'ai écumé beaucoup de courses régionales, en Auvergne bien sûr : le Mont-Dore, La Baraque, le circuit des Landais à Clermont et le vélodrome, etc... Mais je suis également sorti. Citons, comme ça me vient : Carcassonne, Agen, Grenoble ; ces expéditions !
Au vélodrome de Clermont, ma plus mauvaise place a été second en 1954, 1955 et 1957. J'ai gagné en 1956 et en 1958. En 1956, Mathieu passe me voir chez Jules, au Pont de Vallières (NDLR ; à deux pas du vélodrome) juste avant la course. "Casse-croûte", démarre moi cha" me lance-t-il. Au lieu de l'envolée de décibels, un bruit sinistre ; vilebrequin cassé ? Démontage du carter ; le volant était desserré et avait tourné ! Tout seul ?
Hum ... C'est en course qu'il aurait du lâcher. Une demi heure plus tard, j'étais sur la ligne de départ et "pas de cadeaux" lançais-je aux autres. La tête de Matteins quand, avec mon simple culbu, j'eus devancé son double arbre ; et celle de Valleyre dont la Peugeot "Bol d'Or" avait subi le même sort. Mathieu m'attendait à l'Aéro-Club et en pleurait de joie : j'étais Champion d'Auvergne.
A Clamecy, il fallait tout couper sur la ligne d'arrivée à cause de l'hôpital.
Tu parles, si on allait passer la ligne au ralenti ; on coupait après, espérant que les malades étaient durs d'oreille.
A Thiers, je me suis retrouvé dans un buisson ; quant à Taillier, il avait tiré tout droit avec son attelage Manx ; il avait fallu des cordes pour le remonter de quelques vingt mètres. On ne revenait pas toujours glorieux !
Les courses sur vélodromes attiraient les foules, mais étaient souvent délicates.
A Agen ou à Carcassonne, le départ était donné moteur en route, à cause de l'étroitesse de la piste. J'ai vu De Polo passer par-dessus les balustrades avec sa BSA.
Ton palmarès ?
- Que veux-tu que je te dise ? Entre autres, j'ai été champion d'Auvergne en 1956 et en 1958 sur piste. J'ai fini deuxième au Mont-Dore en 1954 ; en 1956 j'ai terminé troisième à Carcassonne ; en 1957 second à Agen sur piste ; en 1958 troisième au circuit des Landais. J'en oublie, mais je me rappelerai toujours le Prix du Jury 1994 à la Rencontre du Motocyclettiste ! Heureusement que les Rencontres existent pour perpétuer le riche passé motocycliste du pays.
Que serait-il devenu sans l'action du Club ?
L'ambiance de l'époque ; se faire plaisir ; on se battait sur la piste, mais on restait entre copains. Les coups de gueule n'empêchaient pas les dépannages et les services.
Ne crois pas que c'était chacun pour soi : on se groupait pour les déplacements, et les fêtes réunissaient vainqueurs et battus.
Propos recueillis par Bernard Palacio
Photos collection Régis Chassagne
Epilogue
Régis Chassagne a racroché le casque après le Grand Prix de France 1960 à Charade, enfin façon de parler, car il n'a jamais arrêté la moto. Au contraire, il a continué jusqu'à la fin de ses jours à rouler en moto ancienne.
Mécanicien hors pair, qui peut prétendre l'avoir vu faire appel aux "balais" lors des nombreux rallyes auxquels il a participé ?
Ce motard historique nous aura prodigué son savoir, ses conseils et ses bons mots, râleur souvent, drôle toujours. Je ne peux m'empêcher de la citer à propos de motards, disons, peu soigneux : "Ah, on va retrouver tous ces raganots avec leur coupe-racine"...