"Le lendemain de ma victoire, j'ai repris le burin et la lime"
... nous a dit Boura, qui nous conte ses souvenirs et nous confie quelques secrets :
Pas de vin, pas de cigarettes, pas de pain, un mois avant la course !
Pour rendre visite à Boura, point n'est besoin de chercher longuement son adresse.
Personne ne l'ignore au Parc Saint-Maure, le premier passant consulté nous l'indiquera :
"Le gagnant du Bol d'Or ?
Vous allez le trouver à son atelier, avenue de l'Etoile."
C'est là en effet, parmi les motos démontées, les roues, les guidons, les magnétos, sous un plafond de pneus, de chambres à air, de casques de cuir et d'acier, que nous le rencontrons, réglant à
son établi une soupape récalcitrante.
Et c'est en maniant la lime et le burin qu'il nous conte quelques souvenirs :
"Je fais de la moto depuis dix ans, nous dit-il, mais ma première machine ne ressemblait guère à celles que je monte maintenant. C'est l'occasion qui m'a tenté ; une Peugeot à courroie et
allumage par batterie, il fallait courir à côté pour la lancer, et elle ne partait qu'à trente à l'heure !
Je l'aimais bien quand même, mais je ne faisais pas de course avec !"
Un beau palmarès
"Je n'ai affronté la compétition qu'en 1927 et, pendant deux ans, j'ai disputé, avec des chances diverses : Coupe de l'Armistice, Six jours d'Hiver, Paris-les Pyrénées...
En 1928, pour la première fois, j'ai eu une machine neuve, avec laquelle j'ai enlevé la Coupe de l'Armistice. Le circuit de Péronne me réussit moins bien, je terminais dans un talus !
Puis mon travail de chef essayeur pour différentes maisons m'interdit de courir.
Je préparais les motos pour les autres.. et je restais à les regarder.
Aussi en 1932, je n'y tins plus et je courus à mes frais, le Grand Prix de l'UMF, à Reims.
Mais je n'avais plus l'accoutumance nécessaire à la course, et je finis... sur les pavés.
Ensuite, je fis un extra pour une marque dont le pilote, Roland, était tombé la veille de la course, et ... j'enlevai le Championnat de France.
Puis, en 1933, je remportais 17 premières places en côte ou en circuit, le Bol d'Or, avec le record général, la Coupe de l'Armistice.
En 1934, 15 première places, mais dans le Bol, je cassais alors que j'étais en tête.
Enfin, cette année, le 3 mars, je battais le record du monde des 100 milles des 350 cmc, avec sidecar. Et après des victoires à Chanteloup, à Château-Thierry, je gagnais le Bol d'Or, dimanche,
battant à nouveau le record général."
La préparation d'un Bol d'Or
- Puisque vous êtes un spécialiste de "l'endurance vite", voulez-vous nous dire comment vous vous préparez au Bol d'Or ?
"Eh bien ! Je ne fais aucune préparation !
Je ne roule en moto qu'en course.
Ce qu'il faut cultiver, d'ailleurs, plus que les muscles, c'est l'équilibre nerveux. Aussi un mois avant l'épreuve, je supprime vin, cigarettes et pain. Un grand massage avant le départ et en
avant.
Pendant la course, je ne mange pas. Je prends un verre de café ou d'eau de Vals à chaque ravitaillement et je mâche de la noix de kola.."
- et vous n'avez pas sommeil ? Vous n'est pas mort de fatigue?
"Pas du tout. L'autre lundi, après la course, j'étais à mon établi à 7 heures, à peine courbaturé. Seuls mes doigts étaient douloureux d'avoir débrayé quelque 12.000 fois !
- Et la machine ?
"Ma moto n'est pas comme moi, elle a besoin d'une préparation minutieuse.
Aussi le moteur étant bien rodé, avant une épreuve comme le Bol d'Or, je le démonte pour vérifier les roulements et l'équilibrage, puis je le remonte pour qu'il tire en force. Ce qu'il
faut c'est de la puissance ; j'emploie donc une forte multiplication, sacrifiant ainsi un peu les reprises.
Il faut aussi que tous les écrous, tous les boulons soient freinés et bloqués. Sans cela, impossible de tenir 24 heures.
Pour essayer ma moto, je roule une heure sur le circuit routier de Montlhéry, à la vitesse que j'ai fixée. Puis démontage pour une dernière vérification et je remonte le moteur, sans
naturellement rien y changer.
- Pendant la course, quelle tactique employez-vous ?
"Dans une course comme le Bol, il faut ne pas s'occuper des adversaires.
J'établis mon tableau de marche d'après les possibilités de la machine, en visant le record et, même si je suis passé, je ne change pas l'allure. Il n'y a que dans les dernières heures qu'on
peut se permettre de pousser, si les autres sont menaçants. Au dernier Bol, je n'ai accéléré qu'à la 17e heure, lorsque mon rival le plus dangeureux, Patuelli, est tombé."
- ça ne vous a trop mal réussi !
Des projets
- Et quels sont vos projets ?
"Je vais participer au plus grand nombre possible de circuits et courses de côte, pour mon compte. Puis, je monterai pour une grande marque française, dans le Championnat de France.
Je voudrais bien remporter quelques victoires, car je vais avoir besoin d'argent pour installer mon magasin.
En effet, le mois prochain, d'artisan je deviens commerçant, et mon atelier actuel sera remplacé par une belle boutique.
J'aurai l'agence de plusieurs grandes marques et j'espère que les motocyclistes seront nombreux à venir me voir. Ils seront toujours les bienvenus.. et mes conseils ne leur coûteront rien
!"
Article de Georges Février paru dans l'Auto du 21 mai 1935